CÔLON_KING LEO STATUE /
A TRANS-ARCHITECTURE
Call for project application / contextualisation of an artwork in situ - painted plaster equestrian statue of King Leopold II at Art & History Museum Brussels
A proposal and text by John K. Cobra and curator Lara Hene
Intervention
Une structure géométrique en métal s’articule autour de la sculpture équestre, elle tient par la force de son propre poids. Sur cette structure repose une forme organique faite àpartir de silicone teinté, qui se meut devant et autour de Léopold II. La figure et le buste sont comme noyés dans une masse abstraite et fluide, dont la couleur rappelle des éléments vivants du corps humain tels que la chair, les muscles, les artères, les nerfs, les tendons, le sang... Le silicone est plus fin devant le visage du personnage, laissant entrevoir la seconde couche de celle-ci. Cinq pointes de métal placées de part et d’autre de la forme onduleuse caoutchouteuse évoquent des sites de mémoires africains (régulièrement sous forme de statuettes anthropomorphes transpercés de clous ainsi que d’ autres attributs qui caractérisent leur pouvoir ).La forme reste vaguement anthropomorphique sans aucune référence particulière aux caractéristiques physiques différenciant les pseudos-catégories races humaines, mais au contraire en mettant en avant les caractéristiques unissant tous les corps humains permettant alors un rendu plus neutre et égalitaire. La sculpture est privée de moitié de sa rigidité et est ainsi projetée dans une toute nouvelle sphère de représentation.
Ensevelie, engloutie dans ce cocon de silicone elle n’exerce plus de pouvoir de contrôle et de domination sur les individus noirs. Ici le silicone qui est le jumeau synthétique du caoutchouc, richesse congolaise que Léopold II s’est attribuée et qui représente symboliquement le pouvoir destructeur du capitalisme raciale, se voit transformer en medium, matière, ciment au pouvoir constructeur d’une nouvelle réalité Afro-Européenne non racialisée et fluide.
Développement
Dans son livre « Critique of Black Reason », Achille Mbembe rappelle que les statues, monuments coloniaux ne sont pas des objets esthétiques destinés à l’embellissement des villes ou du cadre de vie. Mais que ce sont des extensions sculpturales d’une forme de terreur raciale. En même temps elles étaient l’expression spectaculaire du pouvoir de destruction et de vol qui animait l’ensemble du projet colonial. Elles renouvellent alors la domination sur les populations colonisées et gardent les individus dans une sorte de transe permanente.
C’est à partir de cette réflexion que John K. Cobra développe sa réflexion sur la «trance-architecture». Cette architecture faite de pierre et d’armatures en acier qui transpire de rigidité, caractéristique d’une société capitaliste hiérarchisée. La société qui est imbibée d’un paysage urbain rigide va être alors classée selon des normes liées aux origines, aux genres mais aussi aux sexes…
Pour offrir et re-contextualiser cette trance-architecture, Roland Gunst suggère : « Les formes fluides, cependant ont le potentiel de briser les architectures statiques et oppressives. Les traumatismes causés par ses architectures peuvent être guéris par des monuments en mouvement, qui permettent un (re)positionnement constant des identités. »
En créant des concepts et des supports hybrides perturbateurs, il défie les frontières qui définissent les corps humains, l'identité, la culture, la condition humaine et l'histoire. Il souhaite développer la réflexion sur l’unification de l’espace social et architectural sans plus aucunes formes de discrimination et transformer l’architecture pour qu’elle devienne organique à l’image de l’être humain.
Pour symboliser cette vision de la fluidité transculturelle, sexuelle, genre et nationale où, selon lui, résident des sites de négociation et de libération, l’outil qu’utilise John K. Cobra est le Kwanga (nom choisi par l’artiste pour désigner ce matériel).Le Kwanga, qui est le pain congolais fait à partir de manioc (kwanga signifie « pain » ou « vie » en Kikongo) fait référence au concept de pain quotidien. Ce concept est présent dans les deux cultures : Africaines et Européenne (en Europe, le pain a également une notion eucharistique). Le Kwanga a les mêmes caractéristiques que le caoutchouc blanc congolais, il peut être modelé dans n’importe quelle forme et peut retourner à son état liquide. C’est un matériel résiliant et résistant et qui n’altère pas le monument d’origine.
L’utilisation du latex et du silicone, deux matériaux synthétiques fabriqués afin d’imiter et d’améliorer les qualités appréciées du caoutchouc, porte une symbolique importante par rapport à l’histoire de l’artiste dont le père a travaillé durant plus de 40 ans dans une usine de production de caoutchouc blanc mais également par rapport à l’histoire de la culture de l’hévéa au Congo Belge. L’usage et la réhabilitation du caoutchouc de Léopold II est liée à son histoire de famille et inspirée par la culture d’entreprise antiraciste que son père a installé dans l’entreprise. A son tour, l’artiste utilise ce même caoutchouc, et son double le silicone, pour négocier et redistribuer le pouvoir et le respect.
Les sites de mémoires congolais sont majoritairement représentés par des figures de pouvoir congolaises nommées Nkisi Nkondi (ou Minkisi au pluriel), elles sont généralement anthropomorphes et ont reçu un traitement particulier pour recevoir leur pouvoir, être habitées par des esprits et de forces spirituelles. Les prêtres Nganga Nkisi (les maitres spirituels initiés au maniements et usages des Nkisi Nkondi) placent
des substances à l’intérieur mais elles reçoivent également des objets particuliers comme des miroirs, des clous, des cheveux… Ces figures sont des exemples concrets des « espaces de corrélation » entre l’Europe et l’Afrique et des preuves de similarités de croyances ou pratiques culturelles des deux sociétés. Plus spécifiquement dans la façon dont les activistes de droit écologiques, humains et animales (exemple : les Black Lives Matter) manipulent les lieux de mémoires en les réactivant au moyen de matières synthétiques, biologiques ou minérales. Aussi bien les Nganga Nkisis que les activiste activent les lieux de mémoires a travers des paroles, chants, des textes et symboles, etc…
C’est à travers ces lieux de mémoires que des individus ou des communautés installent un dialogue critique avec la société, les idéologies, les institutions ou des ancêtres afin de négocier des droit humains ou également de guérir un mal social comme le racisme. Enfoncer des objets métalliques dans un lieu de mémoire signifie qu’un pacte de guérison est scellé entre les deux parties.
L’intervention proposée sur la statue de Léopold II a pour but d’installer un dialogue avec la société toute entière mais aussi nos ancêtres afin de critiquer et démanteler le capitalisme racial dans lequel nous vivons.